Très Tard-tôt [Libre]

Il était très tard. Ou très tôt, selon le point de vue. Le soleil se levait peu à peu, déchirant de ses premiers rayons éblouissants l'épais voile sombre de la nuit. Pas suffisamment encore, pourtant, pour réveiller le château endormi.
Blottie dans la chaleur de ses draps, Faith était immobile depuis une bonne heure déjà, les yeux fermés, dans la vaine tentative de rattraper les quelques bribes éparses de son sommeil perdu. Elle était bien consciente de l'inutilité de ses efforts : elle pourrait bien rester ainsi toute la journée, il n'y avait aucune chance pour qu'elle réussisse à se rendormir. Elle finit par repousser les couvertures pour s'asseoir, les coudes appuyés sur les genoux, et jeta un regard circulaire à la pièce autour d‘elle. Les élèves de son dortoir dormaient encore comme des bienheureux. Poussant un soupir de lassitude, elle se décida à se lever, se préparant déjà mentalement à la longue journée qui l'attendait.
Pas que les heures de cours qui s'annonçaient la dérangeaient, mais elle présageait déjà qu‘elle s‘y ennuierait prodigieusement, ayant déjà acquis tous les programmes d‘enseignement et ceux dans toutes les matières. De plus, elle se connaissait suffisamment bien pour savoir qu'elle aurait du mal à rester parfaitement éveillée pendant plusieurs heures succinctes après un sommeil raccourci.

Les paupières encore lourdes de fatigue, Faith se choisit avec application sa tenue du jour. Son regard se porta sur la fenêtre close, donnant une vue directe sur le Parc. Tiens… quoi de mieux qu'une balade au Parc pour passer le temps et, surtout, se rafraîchir un peu les idées? Elle attrapa sa sacoche à la volée et quitta son dortoir la plus silencieusement possible , préférant ne pas tester la mauvaise humeur qu'affichaient ses camarades au réveil, et descendit à la Salle Commune. Un feu magique brûlait doucement dans l'âtre, éclairant la pièce en continu, et maintenait une agréable chaleur emplissait la pièce malgré le froid emmené par la nuit. La jeune femme ne s'y attarda pourtant pas.
Quelques minutes plus tard, elle poussait enfin les lourdes portes d'entrée du château pour se retrouver à l'extérieur. Un vent glacial vint immédiatement lui fouetter le visage, et elle du cligner quelques fois des yeux pour s'habituer à la lumière. Ses pas la menèrent sans plus attendre vers le Lac, et il s'affala lourdement sur l'un des bancs bordant la rive. Il faisait froid, un temps qu'elle appréciait. Elle resta là un long moment, yeux mi-clos, ses jambes repliées contre son torse retenues par les bras. Elle resta là un bon moment songeuse, avant de quitter sa position recroquevillé et de chercher quelques choses dans sa sacoche. Elle en sortit un carnet et se mit à griffonner distraitement dessus, son fusain crissant sur le papier épais et faisant pleuvoir une fine poudre noire sur les genoux de la jeune femme.
Au bout d'un moment, elle referma le livre d'un claquement sec et se dandina un peu pour mieux se caler.
Le menton posé sur ses bras croisés, et elle décolla dans ses songeries. Chaque bruit, chaque murmure appelait d'autres images, d'autres temps, d'autres lieux…

Le vent forcit, et chargea le ciel de lourds nuages de pluie qui dépassaient la crête des hautes collines au-delà du lac et de la forêt. Bientôt, une pluie fine se mit à tomber sur les versants, formant de larges tentures gris perle, ondulant doucement au gré des rafales. Autour de lui tout murmurait, ondulait et dansait dans le vent froid qui semait des gemmes étincelantes sur le paysage. Elle était là depuis un bon moment déjà.

L'averse passa sur les sommets, effleurant leurs crêtes de pierre noire, libérant sur le lac interminable des trouées de lumière dorée, comme des doigts d'or caressant les flots avec tendresse; le ciel bleu apparut derrière les nuages gonflés, et l'univers lui fit grâce de la vision féerique d'un arc en ciel déployant ses teintes irréelles sur le paysage encore tout baigné de pluie.

C'était un de ces instants de grâce où tout semble justifié. Pas un signe de vie autre que la jeune femme pensive, assise face au lac tandis que la brise tournait les pages du carnet posé à côté d’elle, comme un passant curieux des secrets que le parchemin renfermait…